Danser pour résister (Tehran, Iran)

Publié le par La Chouette

A Tehran, deux jeunesses, jeunesse française et jeunesse iranienne, se rencontrent autour d'une même musique "Happy", valorisant la liberté d'expression de la première, soulignant les restrictions à la liberté d'expression de la seconde :

Je me souviens, il y a quelques mois, je dansais dans une video réalisée par un collégue sur la musique de "Happy" pour cadeau de départ à l'attention de notre ancien directeur. Aujourd'hui, à Tehran, pour avoir également dansé sur une video sur la musique "Happy" et avoir posté la video sur le net, de jeunes iraniens, jeunes femmes et jeunes hommes, ont été condamnés à des peines de prison et à 91 coups de fouet chacun avec sursis. (info vue sur Le Monde.fr ; je n'ai pas pu lire l'article, celui-ci étant censuré). En interrogeant nos jeunes hôtes de Tehran sur cette affaire, ils nous expliquent que le gouvernement cherche à casser de façon générale toute initiative collective, tout rassemblement, et que tout pas de travers est sévèrement punis pour faire exemple, d'autant plus lorsque ces expressions de résistance sont diffusées sur les réseaux sociaux.


Le gouvernement est très stricte sur les pratiques de danse : pas de fêtes, pas de danses en réunion, pas de danses entre amis et en famille, y compris dans les maisons, interdiction de danser entre hommes et femmes. Les mariages sont la principale occasion de danser, femmes et hommes devant être séparés. Ils sont de fait dans des pièces différentes, séparées par une cloison, mais profitant du même groupe de musique (groupe de musiciens hommes, placé dans la pièce des hommes). Cela donne des images étonnantes de video souvenir de mariage où les hommes dansent entre eux, groupés et presque collés et serrés, et où les femmes de leur côté interpellent le marié "On t'a assez vu, retourne avec les hommes, on ne peut pas danser si tu es présent" (ces mêmes femmes qu'on ne verra jamais danser sur la video car elles ne peuvent pas apparaître sur les images au risque que la video tombe dans les mains d'un homme). Le marié nous dévoilera ensuite "C'était ma première danse, je ne savais pas comment faire".

Voilà ce qu'il en est pour la vie publique. Dans les maisons à la décoration traditionnelle et aux pratiques religieuses affirmées (par exemple, le port du voile devant un homme étranger est extrêmement bien respecté, y compris dans les maisons de jeunes couples de 20 ou 30 ans), les corps féminins dénudés se trémoussent sur des écrans géants, dans les clips de Rihanna, Shakira ou d'artistes iraniens vivant aux US et diffusés sur les chaines du cable (comme il est interdit de posséder une parabole, celles-ci sont installées sur les terrasses ou à l'intérieur des maisons et non sur les toits pour ne pas être aperçues par la police de l'air). J'ose imaginer qu'une fois seuls chez eux, le jeune couple danse ensemble sur la musique américaine.

Autre occasion pour danser, les sorties en-dehors de la ville, en pleine nature, où lorsqu'ils sont certains d'être seuls, amis ou membres d'une même famille, vont pousser la musique de l'auto-radio et danser à côté de la voiture. Sur les videos prises par les téléphones portables de nos amis, les gestes restent hésitants et les hommes se "lâchent" de façon plus ouverte que les femmes.

A Tehran, la jeunesse vit, s'amuse et danse malgré les restrictions. Notre jeune ami de 21 ans Ali, de la ville de Marand, nous montre un petit film de l'unique fête à laquelle il a participé à Tehran : jeunes femmes et jeunes hommes dansent sur de la musique house dans un lieu apparemment en sous-sol. Il en parle les yeux brillants, les émotions affluent. Il nous dira "C'est ma meilleure fête, j'aimerai revivre une fête comme celle-là". Je pense alors qu'au même âge, les jeunes françaises et français sont presque déjà blasés des fêtes, tellement nombreuses ont déjà été les occasions d'y participer. Nous apprenons également qu'à Tehran les fêtes clandestines sont nombreuses, que les nuits sont rien à envier aux nuits de fêtes européennes. Nous n'avons pas encore eu l'occasion d'y goûter.

A n'en pas douter, la danse est en Iran un acte fort de résistance douce.

Pour aller plus loin : un article pourrait certainement m'éclairer davantage sur la question de la danse en Iran (à chercher une fois de retour en France) : LA DANSE EN IRAN, LE PARADOXE PERSAN, (dans Ballroom Revue N°3 qui explore l’héritage et l’actualité de la danse) dans lequel la situation paradoxale d’un art écartelé entre une danse « traditionnelle » et une danse contemporaine qui ne dit pas son nom est questionnée à travers les paroles de trois artistes iraniens.

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